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Acquis / Inné

C’est une question jamais tranchée que de savoir ce qui, chez l’être humain, relèverait de l’acquis ou de l’inné. 


La notion d’acquis est claire et ne requiert pas d’explication précise. Celle d’inné est moins évidente d’emblée, d’autant qu’il existe aussi l’adjectif congénital pour désigner ce qui est présent à la naissance.


Acquis et inné dans le règne animal

Il semble que la différence soit assez claire chez les animaux : l’inné, c’est tout ce qui relève de l’instinct, et donc de l’hérédité, et l’acquis ce qui est appris par le dressage. Autrement dit, il n’y aurait de l’acquis chez l’animal qu’au travers de l’action humaine.

Il est inutile de multiplier les exemples de ce qu’est l’inné chez les animaux ; un seul suffira : tous les oiseaux savent d’instinct construire leur nid, différent pour chaque espèce, mais toujours identique pour la même espèce. Pas besoin d’apprentissage, mais pas d’évolution non plus ; les nids se ressemblent tous depuis des millénaires. Seule l’évolution au sens darwinien du terme peut intervenir. C’est ainsi que le réchauffement climatique modifie les migrations, et donc possiblement la disponibilité des matériaux nécessaires pour que l’oiseau migrateur construise son nid.

Reste toutefois à comprendre scientifiquement ce que c’est que l’instinct animal.

C’est à cette question qu’a tenté de répondre le grand éthologue autrichien Konrad Lorenz (1903 – 1989), prix Nobel de physiologie, connu du grand public pour ses travaux sur les animaux domestiques et sauvages, notamment les oies. On rappelle que l’éthologie est l’étude scientifique du comportement animal.

L’acquis, c’est ce que l’animal apprend par le dressage. Certains animaux se dressent plus facilement que d’autres : les chiens mieux que les chats. Mais ce qui est ainsi appris ne se transmet pas à la descendance, et ne devient donc pas de l’inné.

En revanche, ce qui vient d’être dit pour un individu animal n’est pas valable pour une espèce animale. En effet, l’homme a domestiqué depuis la nuit des temps certaines espèces animales, qui seraient bien incapables de retourner à l’état sauvage : dès sa naissance, un chien est habitué à la présence de l’homme, qui pourra donc le dresser sans problème s’il le souhaite, par exemple pour en faire un chien de garde ; mais, même sans éducation, un chien est un animal domestique, et c’est devenu instinctif chez cette espèce animale autrefois sauvage.

L’instinct humain

Chez l’être humain l’instinct semble avoir peu d’importance par rapport à la place qu’il occupe dans le règne animal.

On peut citer en premier lieu l’instinct maternel, qui fait qu’une femme sait spontanément, du moins en principe, comment elle doit s’occuper de son nouveau-né. On ne confondra pas l’instinct maternel avec la fibre maternelle, qui correspond au désir de maternité qu’éprouvent la plupart des femmes, bien que certaines ne souhaitent pas, pour des raisons diverses, avoir d’enfants, et cette tendance est de mieux en mieux acceptée par la société.

En second lieu, on peut évoquer l’instinct de survie, qui a peu d’occasions de se manifester dans la vie humaine courante, mais qui retrouve toute sa force dans certaines circonstances exceptionnelles. On se souvient du crash d’un avion de ligne dans la Cordillère des Andes en 1972. A son bord se trouvaient les membres de l’équipe de rugby de Montevideo. Les rescapés  mangèrent leurs coéquipiers morts, seule solution qu’ils avaient trouvée pour survivre. L’instinct de survie leur a sauvé la vie en levant l’interdit culturel du cannibalisme.

L’inné et le congénital chez l’être humain

Faisons d’emblée la différence entre inné et congénital. Les deux adjectifs qualifient une caractéristique qui existe dès la naissance, même si certaines d’entre elles peuvent ne se révéler que tardivement.

On réserve habituellement l’usage de l’adjectif congénital au domaine de la pathologie : les anomalies ou les maladies, qu’elles soient génétiques ou pas. Par exemple un traitement tératogène comme la Dépakine (médicament antiépileptique largement prescrit)  pris par une femme enceinte pourra aboutir à la naissance d’un enfant atteint de malformations congénitales, dans lesquelles la génétique ne sera pas en cause.

L’adjectif inné, quant à lui, est utilisé à propos d’une caractéristique déterminée par la génétique. Il est employé essentiellement dans le domaine de la psychologie, pour parler, par exemple, des traits de caractères ou des dons que certains individus développent pour telle ou telle activité culturelle ou sportive. Parler de don suppose un donneur ; pour ceux qui ont une foi religieuse, c’est Dieu qui distribue les dons ; pour les rationalistes athées, c’est la génétique qui est à l’œuvre.

Vis-à-vis des dons dont font preuve certains individus, on entend régulièrement deux types de discours : pour les uns, les dons n’existent pas ; il n’y a que le travail qui compte ; pour les autres, le travail ne sert à rien s’il n’y a pas un don à faire fructifier. De façon amusante, ceux qui nient l’existence des dons sont souvent ceux dont les autres pensent qu’ils ont la chance d’en posséder un, voire plusieurs. Il me paraît évident que si le sprinter Usain Bolt éclabousse ses concurrents de tout son talent, ce n’est pas parce qu’il travaillerait plus que les autres coureurs, mais parce que la génétique l’a doté de capacités exceptionnelles, qui, certes, ne se seraient pas exprimées de cette façon extraordinaire sans beaucoup d’entraînement.

Des expériences pédagogiques  menées dans certains pays asiatiques montrent que si on met dans les mains d’un enfant de trois ans un violon, il arrivera toujours à en tirer quelque chose, même sans apprentissage du solfège : importance de l’inné.

A l’inverse, certains jeunes enfants arrivent à obtenir spontanément d’un instrument de musique des performances qui stupéfient leur entourage ; mais ils ne deviendront éventuellement des virtuoses qu’avec beaucoup de travail, ce qui nous amène directement à l’importance de l’acquis.

L’acquis chez l’homme : l’éducation et la culture

Ce qui relève de l’acquis dans l’espèce humaine est le produit de l’éducation et de l’apprentissage, bref de la culture, comprise dans le sens habituel de ce qui s’oppose à la nature. Contrairement à l’éducation animale, qui ne fait pas progresser l’espèce, l’éducation humaine, du fait du langage et de l’écriture,  fait que chaque nouvelle génération profite de ce que les générations antérieures ont acquis et accumulé. Un enfant de dix ans né au XXIème siècle en sait plus qu’un enfant du même âge ayant vécu au XXème siècle. A la Renaissance, on pensait qu’il était possible qu’un humain particulièrement doué, comme le célèbre Pic de la Mirandole, ait accès à toutes les connaissances disponibles. De nos jours, cette performance ne serait même pas envisageable pour le plus puissant des ordinateurs !

C’est ce que le philosophe Jean Jacques Rousseau (1712 – 1778) appelait la perfectibilité humaine, dont il faisait le propre de l’homme, par opposition à la nature animale, à laquelle celui-ci ne peut absolument pas échapper.

Quant à savoir ce qui relève, dans le comportement humain, de l’inné et de l’acquis, c’est une question éternellement sans réponse, sauf peut-être pour le fameux QI (quotient intellectuel), qui est censé mesurer l’intelligence sans faire aucune référence à la culture. Un illettré peut parfaitement réussir brillamment le test, et son intelligence ainsi mesurée ne relèverait donc que de l’inné.

On peut aussi se poser la question de savoir si l’interdiction de l’inceste relève de l’inné ou de l’acquis. Le grand anthropologue français Claude Lévi-Strauss (1908 – 2009) a en effet montré, notamment dans Les structures élémentaires de la parenté, que cet interdit était présent chez quasiment tous les groupes ethniques du globe, ce qui tendrait à en faire un caractère inné, mais relayé par l’acquis.

Il est également intéressant de se pencher sur le cas des familles de musiciens : est-ce que, quand on a des parents musiciens, on est musicien de façon innée, génétique, ou bien est-ce qu’on le devient à force d’entendre ses parents pratiquer la musique à la maison ? La bonne réponse est probablement un mixte des deux hypothèses.

Les enfants sauvages

Plusieurs cas d’enfants sauvages sont connus dans l’Histoire, et sont intéressants car ils montrent ce qu’un enfant peut devenir uniquement avec l’inné, avant qu’il ne rencontre la culture de ses congénères.

En France on connaît bien le cas de « Victor de l’Aveyron », qui a servi de modèle pour le beau film de François Truffaut, L’enfant sauvage, qui a pris cependant pas mal de libertés avec la vérité historique. Ce cas est un peu particulier car il semble bien que Victor n’ait pas été un enfant sauvage, mais plutôt un enfant maltraité et abandonné.

Beaucoup plus démonstratif est le cas de Marie-Angélique le Blanc. Cette jeune Amérindienne (indienne d’Amérique) a vu le jour vers 1712 dans une région de la Nouvelle-France appelée le Pays-d’en-Haut, située actuellement dans l’état américain du Wisconsin. Pendant  dix années de son enfance, de 1721 à 1731, elle a vécu à l’état sauvage dans la forêt, ne disposant d’aucun langage articulé. Quand elle fut recueillie il fut possible de lui apprendre à lire et à écrire, ce qui semble exceptionnel dans le cas des enfants sauvages. Elle devint religieuse de l’ordre des Augustines, et mourut en 1775. Lorsqu’il la rencontra en 1765, le philosophe écossais James Burnett dit d’elle qu’elle était « le personnage le plus important de son temps ».

Son histoire est très révélatrice car, pendant dix ans de son enfance elle a réussi à survivre uniquement avec ses qualités innées ; une fois en contact avec l’acquis culturel, celui-ci fit d’elle une personne extraordinaire.  

Les jumeaux élevés séparément

Des études scientifiques menées sur des jumeaux élevés séparément, et parfois même dans des environnements très différents, montrent l’importance de la génétique, donc de l’inné, dans certains comportements que l’on aurait tendance à croire plutôt influencés par l’acquis culturel.

Une étude très importante a été menée  dans ce sens en 1979 par l’Université du Minnesota. Elle a porté sur 137 paires de jumeaux élevés séparément, dont 81 paires de jumeaux homozygotes (vrais jumeaux), qui ont le même capital génétique.

Cette étude s’est intéressée notamment au cas extraordinaire de Jack et d’Oskar, séparés à l’âge de six mois en 1933. Jack a vécu  avec son père, de confession juive, et a été élevé dans la tradition juive ; Oskar est parti vivre avec sa mère catholique dans l’Allemagne nazie, et a été élevé selon les préceptes de l’idéologie nazie. Selon les chercheurs qui ont mené l’étude, ils ont vécu, lorsqu’ils se sont rencontrés en 1954, puis retrouvés en 1979 pour l’étude en question,  une incroyable relation d’amour-haine, l’amour étant le fruit de leurs points communs liés à une génétique commune, et la haine le résultat de deux éducations aux antipodes l’une de l’autre.

Article publié le 26 septembre 2016

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