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Déni

La médecine est un terrain de choix pour le déni, attitude irrationnelle toujours très surprenante pour l’entourage du patient dans le déni.


Schématiquement, le déni de réalité c’est le contraire de l’acceptation d’une certaine vérité, dont on sait qu’en médecine elle est souvent relative, rarement absolue.

Le déni n’existe pas qu’en médecine, et nous terminerons cet article par le négationnisme et la théorie du complot, cette dernière explosant depuis la création d’Internet.


Rationnel ou irrationnel ? Les deux…

La médecine, on l’a souvent répété dans les articles de cette encyclopédie, n’est pas une science exacte. Cependant elle repose sur des fondements scientifiques de moins en moins contestables, comme la biologie et la physiologie, et son fonctionnement suppose, de la part du corps médical, une grande rationalité.

Mais dans la mesure où la médecine connaît beaucoup d’échecs, la tentation est grande pour les patients de s’en remettre à des pratiques irrationnelles, comme le recours fréquent au guérisseur en milieu rural, ou à des régimes alimentaires plus ou moins farfelus en milieu urbain (faire un régime sans gluten quand on n’est pas intolérant au gluten par exemple).

D’autre part on connaît parfaitement l’efficacité de l’effet placebo, qui relève clairement de l’irrationnel. La plupart des médecins qui revendiquent leur rationalité pensent que les médecines non conventionnelles tirent leur efficacité de l’effet placebo. Mais qu’en pensent eux-mêmes les médecins adeptes de ces disciplines non validées scientifiquement ? Sont-ils persuadés d’être rationnels ? Si l’on prend l’exemple de l’homéopathie, dont je ne conteste nullement l’efficacité, force est de constater que son principe repose sur des bases physiologiques incompatibles avec celles de la physiologie classique. Dans cette dernière, l’efficacité d’un médicament est fonction de sa dose, de même que sa toxicité ; en homéopathie, plus la substance est diluée, plus elle est efficace, tout en restant inoffensive. Ces deux propositions s’excluant mutuellement, le rationnel en conclue que si l’une est vraie, l’autre est nécessairement fausse. Si le médecin est un homéopathe exclusif, il pensera que c’est la proposition homéopathique qui est vraie, et l’allopathique fausse (rappelons que, pour un tenant de l’homéopathie, tout ce qui n’est pas homéopathique est allopathique). L’irrationalité consiste à penser que les deux propositions sont vraies simultanément, ce qui amène certains médecins à pratiquer conjointement l’homéopathie et la médecine conventionnelle.

Déni ou incompréhension ?

Une des plus grandes difficultés de la pratique médicale consiste, pour le médecin, à se faire comprendre sans ambiguïté de ses patients et de leur entourage. Cette difficulté est d’ailleurs à l’origine du projet de cette encyclopédie. En conséquence, avant de parler de déni, il faut vérifier qu’il ne s’agit pas tout simplement d’incompréhension de ce qui a été expliqué. Un exemple simple : si un gastro-entérologue annonce à un patient qui a bénéficié d’une coloscopie qu’il lui a trouvé un polype cancéreux, on peut parier que le patient entendra le terme polype, mais pas nécessairement l’adjectif cancéreux. Il aurait dû comprendre que le mot important de l’expression polype cancéreux était l’adjectif cancéreux et non pas le substantif polype. Il n’aura donc pas vraiment compris qu’il s’agissait d’un cancer colique, mais ce sera quand même du déni car le mot cancéreux aura été prononcé.

Tous les médecins et tous les soignants le savent bien, la plupart des patients ne comprennent que ce que leur inconscient accepte d’entendre.

Lorsque j’étais encore interne, un de mes patrons racontait l’anecdote suivante : après avoir opéré un patient chez qui il avait découvert la présence d’un cancer du côlon à un stade inextirpable, il avait convoqué la famille pour lui expliquer que la situation de leur parent était au-delà de toute possibilité curative. Après l’avoir écouté avec beaucoup de respect, l’un de ses interlocuteurs l’avait remercié de ces informations, en concluant : « Mais ce n’est pas grave, n’est-ce pas M. le Professeur ? ». Réaction typique de quelqu’un qui ne veut pas entendre la vérité. Là, on est clairement dans le déni.

Déni de diagnostic ou de pronostic

On l’a déjà dit, les maladies graves, comme le cancer ou les maladies neurologiques dégénératives, doivent faire l’objet d’une annonce formalisée par le corps médical. Mais ce n’est pas parce qu’un diagnostic grave ou un pronostic sombre ont été annoncés qu’ils ont été ou seront acceptés. Le déni consiste précisément dans ce refus d’acceptation de la réalité, qui peut prendre deux aspects, l’un volontaire, l’autre involontaire.

Le déni volontaire consiste à dire que le diagnostic posé est erroné, et qu’il ne peut en aucun cas être exact : les médecins se sont tous trompés ; ce qui est annoncé comme étant la vérité n’est pas perçu comme une réalité. On le constate assez souvent en matière d’autisme ; comme il n’y a pas de critère formel de diagnostic d’autisme, il est fréquent que l’un des deux parents, voire les deux, rejettent le diagnostic (peut-être parce qu’il a un côté un peu infâmant ?). Et si l’enfant s’améliore grâce à une prise en charge adaptée, le parent dans le déni y verra une  preuve supplémentaire qu’il avait raison : mon enfant n’a jamais été autiste ; la preuve, c’est qu’il va mieux. Raisonnement délirant mais imparable.

Mais l’inverse est également possible : ce peut  être l’entourage, voire le corps médical, qui nie le problème. Ce cas de figure est magnifiquement raconté dans le film Presque comme les autres, adapté de l’histoire vraie du fils autiste de l’acteur Francis Perrin. La mère de l’enfant voyait bien que son fils n’avait pas un comportement normal, mais cela était dénié par la famille et par les différents professionnels de santé qui s‘occupaient de l’enfant. Dans le cas des médecins, ce n’était pas vraiment du déni, mais plutôt une erreur de diagnostic.

On cite parfois un exemple particulièrement frappant, celui du grand journaliste Pierre Viansson-Ponté qui avait écrit avec le très célèbre et très médiatique cancérologue Léon Schwarzenberg un livre non moins célèbre, Changer la mort, pour expliquer qu’il fallait toujours dire la vérité aux patients cancéreux. Viansson-Ponté est mort d’un cancer, et il se raconte dans les milieux bien informés qu’il a été dans le déni total de sa maladie du début à la fin de celle-ci. Comme quoi, être rationnel en général n’empêche pas de devenir totalement irrationnel quand on est soi-même concerné.

Déni de fin de vie

C’est dans la période de la fin de vie, en général au terme d’une longue et pénible maladie, que le problème du déni se pose le plus souvent, que ce soit le patient qui refuse d’envisager sa mort prochaine, ou son entourage qui espère envers et contre tout une amélioration, et qui va être demandeur de ce que la loi sur la fin de vie appelle « obstination déraisonnable ». Dans une société qui accepte de moins en moins bien la maladie et la mort, il est très difficile d’envisager que le patient est arrivé à la fin de son parcours, et qu’il faut juste l’accompagner le mieux et le plus humainement possible. Contrairement à ce que l’on dit souvent, quand le corps médical fait de l’acharnement thérapeutique, c’est en règle générale à la demande de la famille, et non pas de son propre chef.

Je voudrais raconter ici une anecdote personnelle : quand mon frère aîné, chirurgien orthopédiste, est entré, à sa demande, en unité de soins palliatifs, la famille était tellement dans le déni de sa mort prochaine qu’elle l’avait convaincu qu’il allait se sortir rapidement de ce mauvais pas. Le médecin qui s’occupait de lui m’a appelé un jour pour me faire part de sa perplexité : mon frère savait qu’il était en unité de soins palliatifs, mais demandait des séances de kiné en vue de sa sortie prochaine. Quand j’ai expliqué aux membres de ma famille qu’E. allait mourir bientôt, je suis passé pour quelqu’un de totalement cynique. Heureusement, si je puis m’exprimer ainsi, il est mort assez rapidement, ce qui me donnait raison. Je n’étais plus cynique, simplement lucide. Mais je garde toujours le sentiment que ma famille a « volé sa mort » à mon frère, et qu’il ne s’y est pas préparé comme il aurait peut-être souhaité le faire.

Déni d’addiction

Les sujets atteints d’addiction ont souvent tendance à en limiter la portée : un fumeur dira qu’il fume un demi-paquet par jour, alors que s’il faisait honnêtement le compte des paquets qu’il achète par semaine, il serait obligé de reconnaître qu’il en fume un par jour. Quand cette sous-estimation est sincère, elle relève d’une forme de déni.

De même, il est rare que les alcooliques avouent leur alcoolisme, même quand celui-ci est évident pour tout le monde. Est-ce de la honte ou du déni ? Difficile à dire. Beaucoup d’alcooliques refusent de reconnaître qu’ils le sont parce qu’ils n’ont jamais été ivres. En revanche, ils n’hésiteront pas à qualifier d’alcoolique tel ou tel membre de leur entourage, notamment des compagnons de beuverie. Une excellente campagne télévisée de sensibilisation aux dangers de l’alcoolisme était fondée sur ce principe du « certainement pas moi, mais lui, oui, sans aucun doute ».

En tout cas, aucune prise en charge de ce douloureux problème ne pourra être envisagée tant que le sujet sera dans le déni. Les séances des Alcooliques Anonymes commencent toujours par la phrase rituelle « Bonjour, je m’appelle Untel, et je suis alcoolique ».

Déni et dénégation en psychanalyse

Le déni de réalité est une notion qui fut théorisée par le fondateur de la psychanalyse, Sigmund Freud. 

En psychiatrie, le déni, mécanisme psychologique de défense, concernerait plutôt les psychoses, et la dénégation, sa forme atténuée, les névroses.

Rappelons que la paranoïa, qui est une psychose, se caractérise entre autres par le fait que le paranoïaque se croit absolument sain d’esprit, sans aucune contestation possible, alors que les gens de son entourage, y compris les médecins qui s’occupent de lui, seraient tous plus ou moins « dérangés ». D’où la difficulté extrême à soigner les paranoïaques.

Deuil et déni

Selon la conception d’Elisabeth Kübler-Ross, le déni est le premier des cinq stades du processus de deuil déclenché par une mauvaise nouvelle comme l’annonce d’une maladie grave, les quatre autres étant la colère, le marchandage, la dépression puis l’acceptation.

Cette théorie est actuellement très populaire, mais néanmoins contestable et contestée, comme dans la série télévisée américaine Dr House, selon qui tout cela, ce ne sont vraiment que « des conneries New Age ! »

Déni de grossesse

Le déni de grossesse est quelque chose de très difficile à comprendre, et même à envisager. C’est, pour une femme enceinte, le fait d’occulter complètement sa grossesse, parfois jusqu’à l’accouchement (déni absolu, contrairement au déni partiel, dans lequel la femme enceinte finit par reconnaître son état avant l’accouchement). La femme qui est dans le déni de grossesse ne refuse pas son état, elle ne le reconnaît pas.

Ce déni est rendu possible par l’absence de signes apparents de grossesse : pas d’aménorrhée ni de prise de poids, pas de ventre qui s’arrondit (du fait de la position verticale de l’utérus gravide), de sorte que même l’entourage ne s’aperçoit pas de l’état de grossesse. En quelque sorte, il n’y a pas que le psychisme de la femme qui soit dans le déni ; même son corps dénie la grossesse, et c’est ce qui est le plus difficile à comprendre.

Pour les psychiatres, le déni de grossesse traduirait une grande souffrance psychologique. Cette pathologie méconnue fait parfois la une des médias à l’occasion de cas dramatiques d’infanticides.

Déni historique, négationnisme, révisionnisme et théorie du complot

Il existe différents mots pour désigner le fait de nier qu’un évènement historique a priori incontestable ait eu lieu. On peut simplement le nier (déni), comme certains ne croient pas qu’Hitler soit mort dans son bunker en 1945, ou au contraire en faire le centre de ses préoccupations. Cette obsession devient alors du négationnisme ou du révisionnisme. Le fait que la Turquie ne reconnaisse pas le génocide arménien est une attitude politique d’état, pas une position d’historien, comme celle de Robert Faurisson, qui nie, contre toute évidence documentée par des milliers d’images et de témoignages, que les chambres à gaz aient jamais existé. On peut aussi minimiser le problème en le traitant de « détail de l’histoire », comme l’a fait Jean-Marie Le Pen. Dans un cas comme dans l’autre, le négationnisme est en France un délit puni par la loi.

Ce qui devient de plus en plus courant, car relayé à l’infini par les relais sociaux, c’est la négation de faits historiques avérés, sous le prétexte que l’affirmation de ces faits ferait partie d’un vaste complot planétaire. C’est la fameuse théorie du complot, dans laquelle chacun choisit ce qu’il accepte et ce qu’il refuse de croire : la mort d’Hitler, d’Elvis Presley ou de Mickael Jackson, le fait que l’homme ait marché sur la lune, que les attentats du 11 septembre aient été commis par Al-Qaïda, etc. La plus répandue et la plus toxique de ces croyances consiste à penser, comme un tiers des américains âgés de 15 à 25 ans, que le monde serait en fait gouverné par une société secrète très puissante, les Illuminati, que personne n’a jamais rencontrés, et c’est bien normal, puisque c’est une société secrète.

L’argument le plus fréquemment avancé par les tenants de cette théorie est qu’on nous cacherait beaucoup de choses. Mais il est impossible de leur faire dire qui est ce fameux « on ». Dernier point, plus vous essayez de convaincre un adepte qu’il est dans l’erreur, plus vous le renforcez dans sa croyance, car il en déduit que vous faîtes partie du complot. Bref, le cercle vicieux par excellence.

Mais tout cela nous éloigne un peu de la médecine.

Article publié le 13 février 2017

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