D’après la définition que l’OMS donne de la santé, le bien-être en est partie prenante. Cependant, au regard de l’Assurance Maladie, la santé fait l’objet d’un remboursement des soins prodigués, mais pas le bien-être ; c’est donc qu’il s’agit de deux entités différentes, bien que, dans certains cas, la limite soit floue.
Pour être en parfaite santé, il faut pouvoir ressentir du bien-être. Mais où se trouve la ligne de démarcation entre ces deux notions? Ainsi, du moins en France, le thermalisme est-il considéré comme relevant de la santé, et, à ce titre, pris en charge par l’Assurance Maladie, alors que la thalassothérapie est clairement située dans le registre du bien-être, malgré le suffixe « thérapie », et ne fait l’objet d’aucun remboursement. Or, à bien y regarder, les soins prodigués dans ces deux approches ne sont pas très différents.
On notera de plus que les Français, qui trouvent souvent leurs dépenses de santé excessives, consacrent des sommes considérables à leur bien-être, la plupart du temps sans sourciller. Bizarre…
Ce qui est sûr, c’est qu’aussi bien la santé que le bien-être ne sont que des états temporaires, dont il faut savoir jouir tant qu’ils sont présents.
Bien-être et mal-être
Comment définir le bien-être (que certains écrivent bienêtre) ? La réponse est loin d’être simple, car il existe plusieurs sortes de bien-être : physique, psychique, au travail, matériel, etc. Très schématiquement, on peut estimer qu’il s’agit d’un état agréable, de durée éminemment variable, procuré par la satisfaction des besoins du corps et par la tranquillité de l’esprit : un bon massage relaxant procure une extraordinaire sensation de bien-être physique, malheureusement de courte durée.
Dans un monde particulièrement stressant, notamment au travail, on peut aussi dire que le bien-être consiste d’abord à ne pas se sentir stressé, à être « zen », pour employer une expression à la mode.
La notion antonyme est celle de mal-être, tout aussi difficile à définir, mais qui peut être vécue de manière très douloureuse, surtout si ce mal-être est permanent, poussant certains au suicide. Le mal de vivre n’a jamais été aussi bien décrit que dans la chanson éponyme de Barbara (qui se termine de manière heureuse par l’apparition inopinée de la joie de vivr).
L’aspiration légitime au bien-être se traduit dans la vogue actuelle des livres traitant de ce qu'il est convenu d'appeler philosophie du bonheur et de son pendant, le développement personnel, qui font souvent de gros succès de librairie. On notera que les psychologues et les sociologues ne parlent quasiment jamais de bonheur, mais de bien-être subjectif, que l’on cherche à évaluer par des enquêtes. Cette expression est un peu redondante, car le bien-être étant une sensation, est par nature une notion subjective.
Mais au fait, a-t-on besoin d’un professeur de bonheur pour être heureux, ou d’un coach pour s’épanouir personnellement ? Pour certains, la réponse est clairement oui !
On peut aussi considérer comme relevant du bien-être le recours de plus en plus fréquent à la chirurgie et à la médecine esthétiques, qui ne sont pas accessibles à toutes les bourses.
Quant à la psychanalyse, on espère qu’elle procure à ses adeptes une sensation de bien-être à la hauteur des sommes versées par le thérapisant à son thérapeute.
Contrairement à la santé, qui est une donnée que l’on peut objectiver, le bien-être est purement subjectif : le bien-être ou le mal-être, cela se ressent, se raconte éventuellement, mais cela ne s’évalue pas, ne se mesure pas, ne se transmet pas non plus par contagion.
Santé et maladies
Comment définir la santé ? La plus simple des définitions consiste à dire que la santé, c’est l’absence de maladie, tant physique que mentale. C’est un peu court.
Rappelons la définition de l’OMS, formulée en 1946, et inchangée depuis : « la santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Question : une personne atteinte d’une infirmité congénitale parfaitement tolérée doit elle être considérée comme en mauvaise santé du seul fait de son handicap ?
On conçoit clairement que, définie à la manière de l’OMS, la santé n’est pas un objectif que l’on peut atteindre, mais une pure chimère. Dans ces conditions, le rôle de la médecine et des médecins est d’offrir à un maximum de gens non pas la santé, mais les conditions pour obtenir un état le plus proche possible de la santé. Pour y tendre, le rôle de l’hygiène et de la prévention est essentiel.
De même qu’il y a des maladies qui affectent le corps et d’autres l’esprit, il y a une santé physique et une santé mentale, toutes deux composantes de la santé au sens large du terme.
La santé selon Georges Canguilhem : une approche singulière
La santé est souvent définie négativement, comme l’absence de maladie. Georges Canguilhem en propose une définition résolument positive. Georges Canguilhem (1904 – 1995) était médecin et philosophe. Il s’est fait connaître par des ouvrages d’épistémologie (philosophie des sciences), dont le plus célèbre est Le normal et le pathologique. Dans ses Etudes d’histoire et de philosophie des sciences concernant les vivants et la vie (1968), il rappelle que tout organisme vivant est en équilibre avec son milieu : c’est l’homéostasie. Mais, comme le milieu ne cesse de varier, il faut que le vivant possède des réserves, et qu’il soit, en quelque sorte, suradapté à son environnement. La santé, dans cette conception, ne serait rien d’autre que ce surcroît de ressources mobilisable en fonction des conditions du milieu. Selon lui, « être en bonne santé, c’est pouvoir abuser de sa santé impunément ». La maladie et la mort surviennent quand il n’y a plus de marge.
Sain, malsain et maladif
Quand un sujet est en bonne santé, on dit qu’il est sain ; en revanche, un individu en mauvaise santé est maladif, mais n’est pas réputé malsain, cet adjectif étant employé dans d’autre acceptions, notamment : nuisible à la santé, comme un climat malsain ; pervers, comme une curiosité malsaine ; ou encore pernicieux, comme une atmosphère ou une influence malsaines.
Il existe un certain nombre de synonymes désuets et quelque peu pédants pour désigner une personne toujours plus ou moins souffrante, de santé délicate (on parle aussi de complexion fragile) : pour briller en société, vous avez le choix entre valétudinaire, cacochyme (en général utilisé pour les vieillards), ou encore égrotant ou souffreteux.
Questions sanitaires
L’adjectif sanitaire s’emploie pour tout ce qui touche à la santé et à l’hygiène. On connaît les affaires sanitaires, mais aussi la politique, la quarantaine, la sécurité, le transport, la veille ou la vigilance, qui peuvent être affublés du qualificatif sanitaire.
La veille sanitaire est sous la responsabilité de l’Institut de veille sanitaire (InVS) ; la sécurité sanitaire, quant à elle, relève de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Les sanitaires, au pluriel, ont à voir avec l’hygiène, puisque cette expression désigne une salle d’eau ou des toilettes.
Toutes ces questions relèvent in fine du ministère de la santé, la fonction du ministre en question étant affublée d’une dénomination qui varie à chaque changement de gouvernement, sans que l’on comprenne bien pourquoi !
Santé et Assurance Maladie
Nous l’avons dit en préambule, la ligne de partage entre santé et bien-être est clairement définie par l’Assurance Maladie, qui ne prend pas en charge tout ce qu’elle considère comme du confort, autre nom du bien-être, et qui rembourse les dépenses de santé, d’autant mieux que ce qu'elle appelle le service médical rendu lui semble plus important. C’est ce qui explique que certains médicaments, dont leurs utilisateurs réguliers n’imaginent pas pouvoir se passer, comme les phlébotoniques (médicaments actifs contre les lourdeurs de jambe), soient mal ou pas du tout remboursés. Les médicaments dits de confort, non remboursés, se trouvent donc à la frontière entre bien-être et santé.
Service médical rendu
Dans notre pays (mais pas aux Etats-Unis, notamment), la santé est sacralisée : c’est un droit inaliénable, assumé par la solidarité nationale (autrement dit « la Sécu »), alors que le fait que tout un chacun puisse manger à sa faim n’est pas un droit, et relève, pour les personnes les plus faibles économiquement, de la charité, individuelle ou institutionnelle. Et pourtant, pas de santé possible pour celui qui a faim (ce n’est pas pour rien que l’on dit « mourir de faim »).
Autrement dit, le droit à la santé ne fait pas référence à la santé telle que l’OMS l’a définie ; c’est en fait un droit pour chacun à des soins médicaux, de qualité égale pour tout le monde, et de préférence la meilleure possible : chaque Français atteint d’un cancer a accès aux meilleurs traitements anticancéreux.
En résumé, la santé, c’est pour tout le monde ; le bien-être, uniquement pour ceux qui peuvent se l’offrir ! Les soins dentaires en sont une parfaite démonstration : les soins de base pour tout le monde, mais pas les couronnes et encore moins les implants.
Nietzsche et la « grande santé »
Terminons cet article, une fois n’est pas coutume, par quelques mots de philosophie. Le grand philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844 – 1900) est l’auteur de l’aphorisme célèbre « tout ce qui ne tue pas rend plus fort » (Le crépuscule des idoles), qui pourrait servir de devise à la notion de résilience. Il est aussi l’inventeur de l’expression « la grande santé », qui revient fréquemment sous sa plume, ce qui est assez curieux quand on sait qu’il a été souffrant toute sa courte vie, que l’on pourrait caractériser en deux mots comme un enfer sanitaire.
Article publié le 3 août 2015