Carence et déficit traduisent un manque, alors qu’excès et surcharge définissent la situation inverse.
On peut considérer schématiquement que la plupart des maladies se présentent sous deux formes opposées, l’une quantitative et l’autre qualitative.
Dans ce schéma, qui ne fait pas l’unanimité, la maladie qualitative s’explique par l’irruption dans l’organisme d’un facteur pathogène, comme un micro-organisme (maladie infectieuse) ou la dégénérescence maligne de certaines cellules (cancer).
La maladie quantitative, quant à elle, correspond à l’apparition d’un déficit, d’une carence, ou d’un excès, d’une surcharge. Dans ces cas, on emploie les préfixes « hypo » et « hyper » : hypotension, hypertension ; hypoglycémie, hyperglycémie ; hypothyroïdie, hyperthyroïdie, etc.
Bref, un équilibre physiologique est rompu. On rappelle ici que l’équilibre des grandes fonctions métaboliques s’appelle l’homéostasie (voir l’article consacré à ce terme).
Carence et déficit
Carence et déficit ont grosso modo la même signification, celle d’un manque, mais l’usage indique des utilisations différentes de ces deux termes ; c’est ainsi que les conséquences pathologiques du manque d’une vitamine particulière sont habituellement qualifiées de carence vitaminique, alors que le manque d’une enzyme est toujours un déficit enzymatique.
D’une manière générale, la carence correspond à une affection identifiée, souvent par insuffisance d’apport, alors que le déficit, que l’on qualifie parfois de déficience, est soit un apport insuffisant, mais sans conséquence pathologique notable, soit une anomalie héréditaire (déficit enzymatique), soit encore la détérioration d’une fonction (déficit visuel ou auditif, déficience intellectuelle) ; la détérioration d’une fonction peut être acquise ou héréditaire, comme dans le cas d’un déficit immunitaire.
Mais il y des exceptions aux règles ainsi énoncées : le syndrome d’hyperactivité avec déficit d’attention, que l’on observe chez certains enfants, serait dû à une carence dopaminergique (on s’attendrait plutôt à déficit dopaminergique).
Carence et déficit en vitamines et minéraux
Ces termes correspondent soit à un apport insuffisant, notamment en vitamines, en dessous des besoins journaliers identifiés, soit à des pertes excessives, notamment en minéraux (oligo-éléments).
Les vraies carences vitaminiques, ou maladies carentielles, sont de plus en plus rares dans les pays développés car elles sont provoquées par la malnutrition, qui a considérablement régressé sous nos climats : béribéri pour la carence en vitamine B1, scorbut pour la carence en vitamine C, rachitisme pour celle en vitamine D. D’autres carences vitaminiques persistent cependant, pour les vitamines suivantes : vitamine A (troubles visuels), D chez l’adulte (ostéomalacie), B9 ou folates (anémie macrocytaire), B12 (anémie de Biermer).
En revanche, le simple déficit en vitamines ou en minéraux est fréquent, responsable de troubles divers mais pas de maladie carentielle au sens strict du terme. Les micronutriments les plus souvent déficitaires sont les vitamines C et D, le béta carotène (vitamine A), le magnésium, le zinc, le sélénium, etc. Ces micronutriments sont en règle générale présents dans les « compléments alimentaires ».
Les causes de ces déficits sont nombreuses. Il peut s’agir d’insuffisance d’apport, comme dans les régimes déséquilibrés, la chirurgie bariatrique (chirurgie de l’obésité), l’alcoolisme chronique, la précarité économique. La malabsorption peut être classée dans cette catégorie : les apports sont suffisants, mais mal utilisés par l’organisme.
Mais il peut aussi s’agir de pertes excessives, par diarrhée profuse, pertes urinaires, hémorragies, etc. La carence en fer, par exemple, est une conséquence fréquente de saignements abondants ou répétés (digestifs ou gynécologiques) ; elle est responsable d’une anémie ferriprive (par privation de fer). C’est donc une maladie carentielle, plus qu’un simple déficit. La carence en fer est souvent qualifiée de carence martiale, cet adjectif provenant du nom que les Romains donnaient au dieu de la guerre, à savoir Mars.
Apports journaliers recommandés
Les apports journaliers recommandés ou AJR sont des valeurs-repère qui expriment, de manière simplifiée, à l’intention du consommateur, les besoins quotidiens en micronutriments, c’est-à-dire en vitamines et minéraux. Il ne faut pas confondre AJR et ANC, apports nutritionnels conseillés, qui s’appliquent à des éléments de la population homogènes en termes de besoins, comme les femmes qui allaitent.
A terme, la notion d’AJR devrait être remplacée par celle de VNR, valeurs nutritionnelles de référence.
Déficit enzymatique
On rappelle brièvement que la fonction d’une enzyme est d’accélérer une réaction biochimique, par un mécanisme appelé catalyse. Il arrive qu’une enzyme soit déficitaire, le plus souvent de manière génétique, ce qui va être à l’origine d’un grand nombre de maladies, certaines fréquentes, d’autres orphelines, puisque chaque déficit va entraîner des conséquences propres.
Sans en donner une liste exhaustive, en voici un bref échantillon :
- Déficit en G6PD (glucose 6 phosphate déshydrogénase) : c’est le plus fréquent des déficits enzymatiques héréditaires des globules rouges. Cette affection très fréquente dans le monde est responsable d’une anémie hémolytique. Les crises d’hémolyse pouvant être provoquées par l’ingestion de fèves, on l’appelle également favisme.
- Le déficit en alpha 1 antitrypsine (ATT) est une affection héréditaire qui peut provoquer des lésions pulmonaires à type d’emphysème, et parfois des lésions hépatiques.
- La maladie de Gaucher, ou sphingolipidose, est due à un déficit génétique en glucocérébrosidase, d’où une accumulation de son substrat, le glucocérébroside, dans certains organes, notamment le système nerveux. Il est amusant de noter que ce déficit enzymatique aboutit à une surcharge lysosomale, ce qui est le cas également pour d’autres maladies neurodégénératives. Comme quoi déficit et surcharge ne sont pas des termes incompatibles.
- Les glycogénoses sont un groupe disparate de maladies héréditaires rares portant sur le stockage du glycogène par déficit enzymatique, chaque déficit entraînant une des treize variétés de glycogénoses, que l’on peut regrouper en deux catégories : celles qui touchent le foie, et celles qui affectent le muscle strié (myopathie).
Déficit en facteurs de coagulation
Les facteurs de coagulation, au nombre de treize, agissent de manière successive et combinée au sein de ce que l’on appelle la « cascade de coagulation ». Si un de ces facteurs est absent ou ne fonctionne pas correctement, il y aura un trouble de la coagulation aboutissant à des difficultés d’obtention de l’arrêt physiologique des saignements. Ces troubles de la coagulation sont héréditaires.
Les deux maladies les plus connues et les plus fréquentes de ce cadre nosologique sont l’hémophilie A (déficit en facteur VIII) et l’hémophilie B (déficit en facteur IX). Les autres déficits sont plus rares, et de découverte plus récente ; ils portent sur les facteurs I, II, V, V+VIII, VII, X, XI, XIII.
Il existe un autre facteur de coagulation, le facteur von Willebrand, dont le déficit est responsable d’une maladie hémorragique fréquente, la maladie de von Willebrand (mvW), dont il existe trois types.
Déficit immunitaire et immunodéficience
Un déficit immunitaire est une situation pathologique dans laquelle une ou plusieurs fonctions de l’immunité sont défaillantes. On parle également de déficience (immunodéficience) ou de dépression immunitaire (patient immunodéprimé).
Les risques liés à l’immunodéficience sont essentiellement infectieux, avec des formes sévères d’infections à germes pathogènes, et aussi des infections dites « opportunistes », provoquées par des germes habituellement non pathogènes chez le sujet à l’immunité intacte.
Les déficits immunitaires peuvent être congénitaux, et il en existe de nombreuses formes différentes chez l’enfant, ou acquis. Parmi les premiers, certains sont héréditaires, d’autres pas. Parmi les déficits acquis, le plus connu est le SIDA, acronyme de syndrome de l’immunodéficience acquise, provoqué par le VIH, virus de l’immunodéficience humaine.
Déficit sensoriel, moteur ou cognitif
Ces déficits sont des handicaps plus ou moins lourds pour les sujets qui en sont atteints.
Tous les organes des sens peuvent être concernés par un déficit : la vue (myopie, cécité), l’ouïe (hypoacousie, surdité), le goût (agueusie), l’odorat (anosmie), le toucher (hypoesthésie ou anesthésie).
Le déficit moteur caractérise tous les types de paralysies, centrales ou périphériques. Il s’y associe en général un déficit sensitif, ce qui donne un déficit sensitivomoteur : paralysie d’un nerf isolé, hémiplégie, paraplégie, tétraplégie.
Quant au déficit cognitif, il peut toucher toutes les fonctions de la cognition : mémoire, jugement, compréhension, raisonnement. Ces déficits sont toujours présents, à des degrés divers, dans les démences, comme celle d’Alzheimer, la plus connue car la plus fréquente.
Déficience mentale
On parle également d’arriération mentale, de débilité mentale ou d’oligophrénie. On notera que l’on emploie ici non pas déficit, mais déficience, bien que ces deux termes soient à peu près synonymes.
La principale conséquence de la déficience mentale est le retard du développement psychomoteur. Selon le résultat obtenu aux tests de QI (quotient intellectuel), on classe la déficience mentale en plusieurs stades : arriération profonde en dessous de 30, débilité profonde entre 30 et 50, débilité moyenne entre 50 et 70, débilité légère entre 70 et 85.
Les causes sont multiples, certaines génétiques, comme la trisomie 21 (mongolisme), d’autres acquises : rubéole ou toxoplasmose contractée par la mère pendant la grossesse, séquelles d’encéphalite ou de méningite, souffrance cérébrale à la naissance, etc.
Parmi les causes métaboliques héréditaires, citons la phénylcétonurie, qui a pratiquement disparu grâce au test de Guthrie réalisé à la naissance. Et parmi les causes acquises, évoquons l’hypothyroïdie profonde due à une carence alimentaire en iode ; ce « crétinisme goitreux », autrefois assez fréquent dans les pays montagneux, a donné naissance à l’expression « crétin des Alpes », qui est devenu une insulte depuis que ce n’est plus vraiment un diagnostic.
Excès et surcharge
A l’opposé de la carence et du déficit, on trouve l’excès et la surcharge, même si, comme nous l’avons vu plus haut, une maladie de surcharge peut être provoquée par un déficit enzymatique. Les deux termes, excès et surcharge, sont à peu près synonymes, mais leur usage dépend des circonstances.
En ce qui concerne les vitamines, si la carence est plus grave et plus fréquente que l’excès, il existe cependant des hypervitaminoses, notamment pour les vitamines A, B6, C et D. Attention donc aux apports excessifs.
La surcharge peut concerner l’organisme en entier, un organe en particulier, des cellules ou des organites intracellulaires (lysosomes par exemple).
La surcharge organique concerne essentiellement le poids. Au-dessus de 25 d’IMC, on en est en surpoids, c’est-à-dire en surcharge pondérale. Au-delà de 30, c’est carrément l’obésité.
La stéatose caractérise la surcharge hépatique par de la graisse (« foie gras »), qui accompagne l’obésité, mais aussi la consommation excessive de sodas sucrés à base de coca.
L’hémochromatose est une maladie caractérisée par une surcharge en fer sérique, l’hémosidérose. Les organes affectés par cette surcharge sont le foie, le pancréas, le cœur, et l’hypophyse. Le traitement repose sur des saignées régulières, comme au bon vieux temps des médecins de Molière (mais c’était pour des raisons nettement moins scientifiques).
La surcharge lysosomale donne un ensemble de maladies génétiques dans lesquelles le déficit d’une enzyme lysosomiale entraîne l’accumulation dans les lysosomes du substrat non métabolisé de l’enzyme déficitaire. La plus connue de ces affections est la maladie de Gaucher (cf. supra).
Article publié le 30 mai 2016