La température normale du corps humain est comprise dans d’étroites limites. Au-delà des valeurs normales, on parle d’hyperthermie, dont la fièvre est une modalité, et d’hypothermie en deçà.
La prise de la température lors d’un état pathologique est systématique, car la présence d’une fièvre est un élément important d’orientation diagnostique. Cependant, il est de moins en moins fréquent que les patients prennent leur température avant de consulter un médecin en cas de problème de santé.
Température corporelle et homéothermie
L’être humain est un organisme homéotherme, ce qui signifie que sa température corporelle est constante (à quelques variations près), et surtout qu’elle est indépendante de la température extérieure. L’être humain est un « animal à sang chaud », selon l’expression consacrée.
Mesure de la température corporelle
De manière conventionnelle, il est d’usage de parler de « prise » de la température plutôt que de sa mesure. Mais c’est bien d’une mesure qu’il s’agit. Cette prise se fait à l’aide d’un thermomètre, dont il existe une grande variété de modèles.
Traditionnellement, la température se prenait par voie rectale en France (ce qui horrifiait nos voisins britanniques), et par voie orale dans les pays anglo-saxons, dans les deux cas avec le classique thermomètre au mercure. Mais les choses ont bien changé, ne serait-ce que depuis l’interdiction du thermomètre au mercure en 1999. Ce métal, jugé dangereux, a été remplacé par un mélange de trois métaux liquides: le gallium, l’indium et l’étain. On l’appelle thermomètre au gallium ou au galinstan (« stan » pour stannum, nom latin de l’étain dans la classification des éléments).
Idéalement, il faudrait pouvoir mesurer facilement la température au centre du corps, ce qui peut se faire avec des mesures dites « invasives » parfois utilisées en réanimation (grâce à une sonde vésicale, œsophagienne ou artérielle). Mais, dans l’immense majorité des cas, la prise de température se fait par une méthode « non invasive ». C’est ici la température rectale qui est la plus fiable, car la plus éloignée de l’air ambiant. Les autres voies utilisées pour la prise de la température sont les voies axillaire (l’aisselle), buccale (la bouche), frontale (le front), temporale (la tempe) et tympanique (l’oreille). Une correction est nécessaire par rapport à la température rectale.
Quels modèles de thermomètre peut-on utiliser ? À côté du thermomètre au gallium (ou galinstan), toujours très utilisé à domicile, on peut recourir au thermomètre électronique, d’emploi facile quelle que soit la voie, à infrarouges, utilisé pour la prise de température tympanique ou temporale, et enfin à cristaux liquides, réservé à la température frontale, mais jugé peu fiable.
Chez l’enfant, la prise de température dépend de l’âge. En dessous de 2 ans, c’est la voie rectale qu’il faut privilégier ; en deuxième choix, la voie axillaire. Entre 2 et 5 ans, on évitera la voie buccale (l’enfant risque de briser le thermomètre en le mordant) ; en premier choix, la voie rectale ; en deuxième choix, la voie tympanique ; au-delà de 5 ans, et chez l’adulte, préférer la voie buccale ou la voie tympanique, la plus utilisée dans les établissements de soins.
La prise de la température, au minimum matin et soir, fait partie intégrante des mesures faites systématiquement par le personnel infirmier chez les patients hospitalisés, avec les autres « constantes » que sont le pouls et la tension. Cependant, la classique « feuille de température » incluse dans la « pancarte » que l’on trouvait naguère accrochée au bout du lit de chaque patient a été remplacée par son équivalent informatisé, ne serait-ce que pour des raisons de confidentialité.
Dans un célèbre sketch des Inconnus, le médecin hospitalier, joué par Didier Bourdon, présente, lors de sa visite aux hospitalisés, la feuille de température d’un patient à l’envers pour lui faire croire que sa température baisse alors qu’elle ne fait qu’augmenter !
Température normale
La température corporelle normale se situe entre 36,1°C et 37,8°C (C pour Celsius). Cependant la mesure varie en fonction du site de la prise (cf. infra), du moment dans la journée (rythme nycthéméral), et du degré d’activité. La température est au plus bas en fin de nuit, et au plus haut en fin de journée, vers 18 heures. On peut estimer approximativement que la température normale est plus élevée d’un demi-degré le soir que le matin.
Chez la femme en âge de procréer, la température augmente d’un demi-degré après l’ovulation. Ce « décalage thermique » est utilisé pour situer approximativement le moment de l’ovulation (période favorable pour la procréation, défavorable pour la contraception « naturelle », utilisée naguère dans la méthode Ogino).
Les valeurs de température normale en fonction du site de prise sont les suivantes :
• Voie axillaire : de 34,7°C à 37,3°C.
• Voie buccale : de 35,5°C à 37,5°C.
• Voie rectale : 36,6°C à 38°
• Voie tympanique : 35,8°C à 38°C.
Après le décès, la température baisse progressivement pour rejoindre la température ambiante. La température du cadavre est donc un des éléments pris en compte pour préciser l’heure d’un décès suspect en médecine légale.
Régulation de la température
Le centre de la thermorégulation se situe dans l’hypothalamus, petite zone du système nerveux central (de la taille d’une amende) située, comme son nom l’indique, en dessous du thalamus, et qui est en connexion avec l’hypophyse et le système nerveux autonome. L’hypothalamus reçoit des informations en provenance des thermorécepteurs cutanés et centraux, et analyse en permanence la température par rapport à une référence dite « valeur de consigne » d’approximativement 37°C.
Quand la température corporelle est supérieure à la valeur de consigne (hyperthermie), l’hypothalamus enclenche des mécanismes destinés à faire baisser la température, en particulier la transpiration.
Dans le cas inverse (hypothermie), l’hypothalamus initie deux types de mécanismes de thermogenèse :
• diminution de la déperdition calorique par vasoconstriction cutanée.
Le mécanisme de la « chair de poule » a la même finalité mais se révèle peu efficace du fait de la faible pilosité de l’être humain. Le phénomène de chair de poule porte des noms plus scientifiques : piloérection, réflexe pilo-moteur, horripilation.
• augmentation de la production de chaleur : les frissons sont des contractions musculaires dont toute l’énergie est transformée en chaleur ; la voie métabolique : l’augmentation de la lipolyse et de la glycogénolyse induit une production de chaleur.
Bien que l’être humain soit homéotherme, on observe dans certaines conditions une adaptation au froid prolongé, la température corporelle baissant un petit peu pour consommer moins d’énergie. C’est ce qui a été constaté par exemple chez l’explorateur polaire Jean-Louis Étienne.
Hypothermie, hyperthermie et fièvre : aspects sémantiques
Commençons par une remarque de vocabulaire. Il est habituel, mais fautif, de dire d’un patient qui n’a pas de fièvre qu’il « n’a pas de température ». Heureusement qu’il en a une, car même un patient décédé a une température corporelle. Cette expression familière est donc un abus de langage, mais que tout le monde comprend.
Quand un patient a de la fièvre, on dit qu’il est fébrile, ou subfébrile si sa température n’est que modérément élevée. On parle également d’état fébrile ou subfébrile, ou encore de fébricule, substantif féminin le plus souvent employé à tort comme un mot masculin pour désigner une fièvre modérée.
À l’inverse, quand un patient n’a pas de fièvre, on dit qu’il est apyrétique, l’apyrexie étant le contraire de la fièvre (mais on ne parle jamais de « pyrexie »).
Quand la température est inférieure aux valeurs normales, il s’agit d’une hypothermie, et le patient est hypotherme. Si l’hypothermie n’est pas corrigée, elle peut être mortelle (c’est ce qui cause la mort des personnes qui tombent à la mer, le décès survenant d’autant plus rapidement que l’eau est plus froide).
Quand la température est supérieure à la normale, il s’agit d’une hyperthermie. Après un effort physique intense ou une exposition à une température ambiante excessive, la température corporelle augmente : le sujet en est hyperthermie (mais on ne dit pas qu’il est hypertherme). L’hyperthermie non compensée peut également être mortelle, comme dans le classique « coup de chaleur ».
La fièvre est une forme particulière d’hyperthermie, dans la mesure où il s’agit d’une augmentation de la température corporelle produite par l’organisme lui-même, en réponse à un processus pathologique, notamment une infection.
Un médicament qui fait baisser la fièvre est un antipyrétique, dont le plus utilisé est le paracétamol, qui est aussi un antalgique.
Qu’est-ce que la fièvre ?
On vient de le dire, la fièvre est une hyperthermie créée par l’organisme en réponse à un processus pathologique. Plus précisément, la fièvre semble être la réponse induite par l’hypothalamus en réaction à la présence de substances pyrogènes libérées par les macrophages (variété de globules blancs provenant de la différenciation des monocytes). C’est donc un mécanisme de défense face à un processus infectieux et/ou inflammatoire. En effet, la fièvre augmente les défenses immunitaires, d’une part en stimulant l’immunité spécifique et non spécifique, d’autre part en activant la microbiostase, c’est-à-dire en inhibant la croissance des germes pathogènes.
Le phénomène se décompose en trois phases : la montée thermique, plus ou moins brutale ; le plateau d’hyperthermie, continu ou entrecoupé de pics fébriles ; la défervescence, plus ou moins rapide, qui signe le retour à l’apyrexie.
Différentes sortes de fièvres
Autrefois on donnait des noms spécifiques aux fièvres intermittentes qui revenaient selon un rythme régulier : fièvre tierce (retour de la fièvre au 3ème jour, après un intervalle libre au 2ème jour) ; ce rythme évoque le paludisme. Fièvre quarte : un ou plusieurs accès fébriles tous les quatre jours ; là aussi, ce rythme évoque le paludisme. Ces expressions ne sont plus employées.
Il existe toujours des « fièvres récurrentes », qui reviennent à intervalles réguliers, dont certaines sont héréditaires (fièvre récurrente héréditaire), et d’autres provoquées par des microbes inoculés par des morsures d’insectes ou d’acariens.
Certaines fièvres chroniques sont dites « prolongées ». Elles seront étudiées dans le dernier chapitre de cet article.
Chez l’enfant, une fièvre élevée peut s’accompagner de convulsions fébriles, le plus souvent bénignes. Mais il existe des crises convulsives fébriles compliquées qui peuvent être graves, et doivent faire l’objet d’une prise en charge urgente.
Il existe une maladie pharmacogénétique rare mais grave, l’hyperthermie maligne, à transmission autosomique dominante. Elle atteint le muscle strié, et les crises sont déclenchées par des médicaments à tropisme musculaire, notamment les anesthésiques halogénés utilisés en anesthésie générale. En l’absence d’un traitement spécifique rapide (le dantrolène), l’évolution est mortelle. C’est une obligation médicolégale que d’avoir une dose de dantrolène dans tout bloc opératoire utilisant des anesthésiques halogénés.
Signification de la fièvre, des frissons et de l’hypothermie
La fièvre n’est qu’un symptôme, notion qui n’est connue que depuis la publication en 1868 du livre du médecin allemand Karl August Wunderlich. La fièvre fait souvent partie d’un certain nombre de syndromes, comme le syndrome inflammatoire général, dont le syndrome grippal est un exemple. Mais elle peut également être le seul symptôme du patient ; on évoque dans ce cas une fièvre isolée.
Dans un contexte d’affection fébrile, la présence de frissons et/ou d’épisodes d’hypothermie doit faire évoquer une bactériémie voire une septicémie, avec présence de germes dans le sang. Dans ces cas, il est habituel de réaliser des séries d’hémocultures pour mettre ces germes en évidence, ce que l’on fait également en cas de forte fièvre.
L’intensité de la fièvre n’est pas corrélée avec la gravité de la maladie : la grippe est habituellement une maladie bénigne, responsable de poussés fébriles parfois > 40°C. Les grippes mortelles le sont en général par surinfection bactérienne chez des sujets fragiles. Cependant, l’intensité de la fièvre peut être un élément d’orientation diagnostique. Par exemple, il est rare que l’appendicite aiguë s’accompagne d’une température > 38,5°C ; cependant, il ne faut pas exclure ce diagnostic sous prétexte de forte fièvre, ou, à l’inverse, d’apyrexie.
Syndrome inflammatoire
Un syndrome inflammatoire est une notion clinique et biologique.
Sur le plan clinique, on distingue le syndrome inflammatoire local, caractérisé par une tuméfaction rouge, chaude et douloureuse localisée à un endroit précis du corps, habituellement sans fièvre, et le syndrome inflammatoire général, qui nous retient ici puisqu’il associe fièvre et altération de l’état général.
Sur le plan biologique, il existe un certain nombre de « marqueurs de l’inflammation », certains plasmatiques, d’autres cellulaires. Tous ces marqueurs ne sont pas utilisés simultanément dans les cas habituels, pour lesquels on se contente en règle générale du dosage la CRP et de la NFS (numération-formule sanguine) pour rechercher une hyperleucocytose et/ou une anémie. Les marqueurs de l’inflammation sont utiles pour le diagnostic, et aussi pour la surveillance des états inflammatoires (avec ou sans infection) sous traitement : si le traitement est efficace, les marqueurs doivent se normaliser.
On évitera de confondre inflammation et infection, même s’il y a toujours un syndrome inflammatoire biologique dans les états infectieux.
1. Marqueurs plasmatiques :
• La protéine C réactive, ou CRP (ce sont les initiales de l’équivalent anglais) est la plus utilisée en pratique clinique des protéines de la phase aiguë de l’inflammation. Son taux normal est <5 mg/L. Son augmentation est plus importante dans une infection bactérienne que virale.
• Le dosage de la CRP est souvent couplé à celui de la procalcitonine (PCT) dans le bilan des infections. En effet, l’élévation de la PCT est plus spécifique d’une infection bactérienne, parasitaire ou fungique que virale.
• Parmi les « protéines tardives » de l’inflammation que sont l’haptoglobine, l’orosomucoïde et le fibrinogène, c’est ce dernier qui est le plus employé.
• Il existe, à l’inverse, des « protéines négatives », dont la baisse du taux est un marqueur d’inflammation : l’albumine, la préalbumine et la transferrine.
• Dans certains cas complexes, il peut être utile de demander une électrophorèse des protéines.
2. Marqueurs tissulaires :
• La vitesse de sédimentation érythrocytaire, ou VS, est encore très utilisée, plus pour la surveillance que pour le diagnostic. En effet, une accélération de la VS n’est pas spécifique d’une inflammation. On notera que, s’agissant d’une vitesse, il convient de parler d’accélération et non pas d’augmentation.
• L’hémogramme (ou NFS) peut montrer une anémie hypochrome, microcytaire et arégénérative (anémie dite inflammatoire), associée à une thrombocytose (augmentation du nombre des plaquettes) et surtout à une hyperleucocytose, notamment dans les syndromes inflammatoires d’origine bactérienne. L’augmentation des globules blancs porte essentiellement sur les polynucléaires neutrophiles, dont la proportion augmente dans la formule leucocytaire.
3. Syndrome de réponse inflammatoire systémique
Après avoir décrit un syndrome inflammatoire clinique et son équivalent biologique, le couplage des deux aboutit à la définition simple et consensuelle d’un syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIF), qui associe fièvre (ou hypothermie), tachycardie, tachypnée et hyperleucocytose (ou leucopénie). Pour parler de SRIF, la présence d’au moins deux des signes suivants est nécessaire et suffisante :
• Température > 38°C ou < 36°C.
• Fréquence cardiaque > 90/min.
• Fréquence respiratoire > 20/min ou hyperventilation (PaCO2 < 32 mm HG).
• Leucocytose > 12000/mm3 ou < 4000/mm3
Diagnostic d’un état fébrile
Le diagnostic étiologique d’un état fébrile peut se faire dans deux types de situations : soit la fièvre n’est qu’un élément du tableau clinique, soit elle est au-devant de la scène.
Dans le premier cas, prenons l’exemple très banal de l’appendicite aiguë ; le problème posé est celui d’une douleur abdominale éventuellement fébrile, et non pas celui d’une fièvre avec douleur abdominale. La douleur est constante, et c’est elle qui est le motif de consultation ; la fièvre est inconstante, et jamais prédominante.
Dans le second cas, c’est la fièvre qui est au premier plan. Il faut toujours avoir à l’esprit certains diagnostics potentiellement graves : chez un sujet de retour d’une zone d’endémie, on évoquera le paludisme ; s’il existe des douleurs articulaires : une arthrite septique ; s’il existe un souffle cardiaque : une endocardite d’Osler ; avec une éruption cutanée de type purpura : un purpura fulminans, véritable urgence thérapeutique ; une fièvre isolée chez l’homme doit faire évoquer une prostatite ; enfin, une fièvre au long cours doit faire penser à la tuberculose, qui redevient une maladie fréquente, ce qui nous amène au dernier chapitre.
Bilan d’une fièvre prolongée
Une fièvre prolongée d’origine inexpliquée se définit comme une température supérieure à 38,3°C constatée à plusieurs reprises pendant une période d’au moins trois semaines, et sans explication après un premier bilan de routine.
Le bilan d’une fièvre prolongée d’origine inexpliquée ressortit du domaine de la médecine interne, et peut nécessiter le recours à toute la gamme des examens disponibles en imagerie médicale, et, parfois, à des investigations particulières comme une biopsie d’artère temporale (recherche d’une maladie de Horton).
Ce bilan aboutit en définitive à quatre catégories d’étiologies : infectieuses, tumorales, inflammatoires (notamment auto-immunes) et diverses ; 25% de ces fièvres resteront inexpliquées après un bilan exhaustif, ce qui n’est pas très grave puisque la plupart d’entre elles finiront par guérir spontanément.
Article publié le 12 février 2018