La médecine légale est une spécialité médicale aux multiples facettes, auxiliaire indispensable de la justice, conjointement avec la police scientifique.
La médecine légale est relativement mal connue, même si tout le monde sait ce qu’est une autopsie, une empreinte digitale ou un test ADN. Mais le champ d’action de cette discipline ne s’arrête pas à ces quelques exemples.
Le constat de décès et le certificat de décès
Le constat de décès est l’acte par lequel un médecin inscrit au Conseil de l’Ordre constate le décès d’une personne sur des critères indiscutables. Il doit alors rédiger un certificat de décès.
Le décès peut être constaté dans trois types de circonstances : si le patient était hospitalisé (hôpital public ou clinique privée), c’est un médecin de l’établissement qui constate le décès ; si le décès survient au domicile ou dans un établissement non médicalisé, la charge de constater le décès incombe au médecin appelé sur les lieux ; si le décès survient sur la voie publique, le Procureur de la République nomme un médecin pour assumer cette tâche.
Le certificat de décès doit être rédigé rapidement par le médecin car tout ce qui découle du décès (inhumation, succession, etc.) ne pourra pas intervenir sans ce document.
Si la mort paraît suspecte au médecin qui l’a constatée, il doit indiquer qu’il y a un obstacle médico-légal à l’inhumation. C’est alors qu’entre en jeu la médecine légale.
La mort suspecte
Si l’on se réfère aux circonstances d’un décès, on décrit trois possibilités : la mort naturelle, de très loin la plus fréquente ; la mort violente et la mort suspecte. Il y a mort suspecte quand les causes ou les circonstances du décès ne sont pas clairement déterminées, ou quand les conditions du décès laissent penser que la mort n’est pas naturelle : accident, suicide ou meurtre.
En cas de mort violente ou suspecte, une enquête est confiée à la police judiciaire. L’autorité judiciaire saisie peut décider du transfert du corps dans un institut médico-légal, en vue de la réalisation d’une autopsie. C’est un médecin agréé par la police judiciaire qui établit le certificat de décès.
Institut médico-légal (IML)
L’institut médico-légal est souvent appelé à tort la morgue, qui est en fait la chambre mortuaire des hôpitaux.
Deux de ces structures sont particulières : l’institut médico-légal de Paris et l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), qui dépendent du Ministère de l’Intérieur. L’IML de Paris est situé le long du Quai de la Rapée, dans le XIIème arrondissement. Sa longue silhouette est familière à tous les amateurs de séries policières françaises.
Il existe 48 instituts médico-légaux répartis sur l’ensemble du territoire. Ils sont tous rattachés à des hôpitaux ou à des services de santé.
Un IML accueille différents types de défunts :
- les personnes décédées sur la voie publique, que ce soit par suicide ou accident ;
- les inconnus dont l’identité est à déterminer ;
- les individus décédés dans des circonstances inexpliquées ou suspectes ;
- les cadavres possiblement contaminants.
Médico-légal
L’adjectif composé médico-légal concerne en premier lieu tout ce qui est relatif à la médecine légale : institut médico-légal, expertise médico-légale, etc. Mais il qualifie également tout ce que la loi impose en matière médicale. A l’occasion d’une intervention chirurgicale, il existe un grand nombre d’obligations médico-légales : informer le patient, obtenir son consentement, le montrer à l’anesthésiste en consultation de préanesthésie dans les délais fixés par la loi, vérifier son identité avant l’intervention, rédiger le compte-rendu opératoire, assurer les suites, et j’en passe. Tout manquement avéré est considéré comme une faute.
Spécialité de médecine légale. Le médecin légiste
La médecine légale et criminalistique, puisque tel est son intitulé complet, est une spécialité médicale exercée par un médecin légiste. Le qualificatif légal ne s’oppose pas à illégal, comme dans l’expression exercice illégal de la médecine. Il indique que la médecine légale est mise en branle par la justice, bras armé de la loi.
La médecine légale et la police scientifique sont des sciences dites forensiques, qui regroupent les différents moyens disponibles pour résoudre des enquêtes judiciaires dans le domaine criminel.
La médecine légale regroupe trois champs d’activité : la médecine légale judiciaire, qui repose avant tout sur l’autopsie ; la partie clinique, avec notamment la victimologie ; et le volet scientifique, la thanatologie.
La plupart des médecins légistes exercent cette spécialité à temps plein, soit pour un hôpital, soit dans le cadre d’affaires judiciaires. Mais il est possible d’exercer cette spécialité à temps partiel, à l’occasion d’expertises, et d’avoir concomitamment une activité clinique, comme la médecine générale.
Autopsie
L’autopsie (du grec autopsia, vu par soi-même) est l’examen médical des cadavres. On l’appelle également nécropsie, ou encore examen post-mortem. Elle comprend un temps appelé éviscération, qui consiste à faire l’ablation des viscères afin de les étudier (étude histologique) au microscope. Rien à voir avec l’éviscération d’un opéré, qui est le lâchage précoce de la suture d’une incision chirurgicale.
Il existe deux grands types d’autopsie : l’autopsie médico-légale et l’autopsie clinique, auxquelles il convient d’ajouter la dissection, par des étudiants en médecine, dans un amphithéâtre d’anatomie, des cadavres de personnes décédées ayant fait don de leur corps à la science selon l’expression consacrée.
L’autopsie médico-légale est mise en œuvre dans le cadre judiciaire pour élucider la cause d’une mort considérée a priori comme suspecte. Elle est réalisée par un médecin légiste dans un institut médico-légal.
L’autopsie clinique est également appelée médico-scientifique ou médico-hospitalière. Contrairement à la précédente, c’est un examen facultatif, effectué à la demande d’un médecin ou de la famille d’un patient décédé, pour élucider les causes exactes de sa mort. La famille peut s’y opposer. Ce type d’autopsie est réalisé en général par un médecin anatomo-pathologique.
Victimologie
La victimologie est une discipline assez récente, axée non plus sur l’auteur d’un crime, mais sur sa victime, et avant tout sur les relations de celle-ci avec le système judiciaire. Elle a pour objectif prioritaire une meilleure prise en compte du statut de victime par le corps social, notamment à travers la création d’associations d’aides aux victimes et de cellules d’urgence médico- psychologique. A noter que l’on peut être victime sans qu’il y ait de responsable identifiable, notamment en cas de catastrophe naturelle.
Thanatologie
La thanatologie (du grec Thanatos, le dieu de la mort) est l’étude scientifique de la mort. A ce titre, c’est un élément essentiel de la médecine légale, notamment au travers des modifications corporelles qui accompagnent la mort, et qui permettent d’en situer l’horaire approximatif.
Une personne qui est diplômée en thanatologie est un thanatologue. Cependant on qualifie souvent ainsi des professionnels œuvrant dans le domaine funéraire, comme les embaumeurs ou les thanatopracteurs (qui pratiquent la thanatopraxie), même en l’absence de diplôme.
Qu’est-ce qu’un cadavre ?
Un cadavre est ce qui reste du corps d’un être vivant après sa mort. Chez l’homme, on parle aussi de dépouille mortelle, ce qui est un terme un petit peu moins agressif ; dans le monde animal sauvage, un cadavre est une charogne, que se disputent les charognards.
Il existe une ambiguïté sémantique entre le terme de cadavre, qui s’applique dès la mort, et l’état cadavérique, troisième étape de décomposition d’un corps, après la putréfaction, et avant l’étape squelettique. Lors de la phase cadavérique, la peau commence à disparaître progressivement.
Datation des cadavres
On distingue deux phases post-mortem selon le délai écoulé depuis le décès : les phases post-mortem précoce, dans les jours qui suivent, et post-mortem moyenne, jusqu’à un mois. Les techniques de datation différentient selon les phases ainsi définies.
En phase précoce, on utilise les méthodes thermométriques (la température du cadavre) ; l’étude de la rigidité cadavérique (rigor mortis), raidissement progressif de la musculature qui disparaît avec l’apparition de la putréfaction ; l’étude des lividités cadavériques (livor mortis), qui correspondent à un déplacement passif de la masse sanguine sous l’effet de la pesanteur ; enfin le dosage du potassium dans l’humeur vitrée de l’œil.
La phase post-mortem moyenne commence avec la putréfaction du cadavre, qui est une décomposition des tissus sous l’influence des bactéries et des mycètes (des champignons). Cette putréfaction suit un ordre immuable, et s’accompagne de vagues successives d’insectes nécrophages, le tout permettant une datation assez précise du cadavre. L’étude des insectes nécrophages est le domaine de l’entomologie médico-légale.
Identification d’un cadavre
Plusieurs méthodes sont utilisées pour identifier un cadavre. Cependant, ces méthodes sont la plupart du temps comparatives, et ne permettent donc pas toujours d’obtenir une réponse.
L’identification dentaire est une des plus efficaces, car la forme des dents et leur implantation dans la mâchoire est caractéristique de chaque individu. Les dents ne se décomposent pas, et ne sont pas détruites lors d’un incendie, ce qui permet l’identification des cadavres calcinés. De plus, la dent est une source possible d’ADN. Les dentistes conservent dans leurs archives les radios dentaires de leurs patients. Encore faut-il savoir à quel dentiste faire appel.
Si le cadavre est porteur d’un dispositif implantable comme un pacemaker, le numéro de série de ce dispositif permet de savoir à qui il a été implanté.
Les empreintes digitales sont également spécifiques de chaque individu. Mais elles ne sont pas toutes répertoriées, ni toujours récupérables.
De même pour l’empreinte génétique (test ADN), qui ne permet d’identifier un cadavre que si l’on dispose d’un ADN de comparaison, comme un cheveu retrouvé sur une brosse. Mais quelle brosse rechercher ?
On le comprend, ces méthodes sont surtout utiles en cas de catastrophe, aérienne ou ferroviaire, quand on sait qui se trouvait à bord, mais qu’il faut identifier chacune des nombreuses victimes.
Odontologie médico-légale
L’odontologie médico-légale est une branche de la médecine légale qui s’intéresse aux dents et aux maxillaires. L’expert odontologiste est un auxiliaire judiciaire qui participe à l’identification des cadavres. Mais il peut également intervenir pour donner un avis sur des morsures humaines, ou sur des traumatismes dentaires accidentels ou survenus à l’occasion de soins dentaires, dans l’optique d’une indemnisation.
Empreintes digitales
Une empreinte digitale, ou dactylogramme, est la trace laissée sur un support par la pulpe d’un doigt. Le dessin ainsi formé est constitué de dermatoglyphes, ou crêtes papillaires. L’étude des empreintes digitales est la dactyloscopie.
L’intérêt des empreintes digitales est qu’elles sont uniques et caractéristiques d’un individu (même les vrais jumeaux n’ont pas les mêmes dactylogrammes). Cette caractéristique en fait un outil biométrique essentiel en médecine légale et en police scientifique. L’identification des empreintes digitales (ou papillaires) se fait actuellement par des logiciels d’identification automatique.
Par analogie, on parle d’empreinte vocale pour l’identification de la voix par des logiciels de reconnaissance vocale.
Empreinte génétique : l’ADN
Là encore c’est par analogie avec les empreintes digitales que l’on parle d’empreinte génétique, ou de profil génétique, pour ce qui est plus connu sous le nom de test ADN. Il s’agit d’une analyse génétique obtenue à partir d’une infime quantité de tissus biologiques contenue dans le bulbe des cheveux, dans le sang, la salive ou le sperme (liquides biologiques).
Bien que deux humains aient une grande partie de leur patrimoine génétique en commun, certaines séquences d’ADN sont spécifiques de chaque individu (hormis les vrais jumeaux, qui ont strictement le même patrimoine génétique).
Du fait de ce caractère unique, les empreintes génétiques permettent, en médecine légale, d’identifier un coupable, ou d’innocenter un présumé coupable, même plusieurs années après les faits, comme ce fut le cas tout récemment pour le jardinier Omar Raddad (le fameux « Omar m’a tuer »).
L’ADN contenu dans le sperme permet en général de confondre l’auteur d’un viol.
L’empreinte génétique est certainement le progrès le plus important observé en médecine légale dans les dernières décennies. La méthode d’identification par l’ADN remonte à 1985 (Lord Alec Jeffreys). Elle a été utilisée la première fois en Angleterre en 1988 pour disculper l’assassin présumé de deux meurtres et identifier le vrai coupable. A l’époque, ces tests avaient pris des mois ; quelques jours suffisent actuellement.
L’autre grande utilisation de l’empreinte génétique est le test de paternité.
Toxicologie
La toxicologie est une vaste discipline scientifique qui est d’un appoint important en médecine légale, dans la mesure où les analyses toxicologiques (sur des cheveux et des liquides biologiques comme le sang) permettent d’affirmer l’origine criminelle de certains décès suspects, par empoisonnement. C’est ainsi que l’analyse des cheveux de l’Empereur Napoléon Ier, longtemps après sa mort, confirmerait qu’il aurait été victime d’un empoisonnement à l’arsenic.
Un peu d’histoire de la médecine légale
La médecine légale est une discipline beaucoup plus ancienne qu’on ne le croit habituellement. Il existe, sous la plume de Jean Lafosse (1742 – 1775) un article consacré à la médecine légale dans le Supplément à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Pendant la période révolutionnaire, un décret du 14 frimaire an III crée trois chaires universitaires de médecine légale à Paris, Montpellier et Strasbourg. A cette époque, il faut citer le nom de trois grands pionniers français, François-Emmanuel Foderé, Jean-Jacques Belloc et Paul-Augustin Mahon. Au XIXème siècle, le grand nom de la médecine légale française est Alexandre Lacassagne.
C’est l’anglais Nehemiah Crew qui a décrit le premier les dermatoglyphes, en 1884, prélude à leur utilisation progressive en médecine légale et en criminologie.
Le personnage du médecin légiste dans la fiction
Le médecin légiste est un personnage incontournable des films policiers et des séries télévisées criminelles. Ainsi dans la série française Nicolas Le Floch, adaptée des romans de Jean-François Parot, et qui se passe à l’époque de Louis XV, le médecin légiste est en fait le bourreau Samson, qui officie au Châtelet.
L’auteur de romans policiers américains Patricia Cornwell va jusqu’à faire de son personnage de médecin légiste Kay Scarpetta l’héroïne de ses histoires.
Parmi la galerie de médecins légistes plus ou moins déjantés que l’on croise dans les séries policières françaises, ma préférence va au Dr Frankenstein, médecin légiste de la série Crimes en série, interprété de façon inénarrable par l’excellent acteur belge Christian Heck, devenu depuis sociétaire de la Comédie Française.
Article publié le 5 décembre 2016