La médecine tend à s’adapter de plus en plus à chaque patient : c’est ce que l’on appelle la médecine personnalisée.
Quand ce concept s’applique à l’oncologie, on parle alors de médecine de précision, dont la thérapie ciblée n’est qu’une des modalités.
La philosophie qui sous-tend ces différentes approches relativement nouvelles de médecine consiste à considérer que le but à atteindre n’est pas tant de soigner une maladie (le cancer par exemple) qu’une personne (un patient cancéreux, pour rester dans le même registre), et, singulièrement, la maladie cancéreuse propre à cet individu.
Notons qu’il règne un flou certain sur toutes ces appellations, qui ont tendance à être employées les unes pour les autres, et auxquelles il convient de rajouter celle de médecine stratifiée et de médecine translationnelle.
L’oncologie est le terrain privilégié, mais non exclusif, de ces nouvelles formes de médecine.
Médecine personnalisée
La médecine peut être considérée comme personnalisée quand elle prend en compte non pas seulement les symptômes ou la maladie du patient, mais aussi son environnement, son « terrain », bref le patient dans sa globalité. C’est un des piliers, par exemple, de l’approche homéopathique. Cependant ce n’est pas exactement ce qui est en jeu lorsque l’on évoque la médecine personnalisée.
Si l’on veut donner une définition précise de la médecine personnalisée, la meilleure serait celle retenue par l’Agence Européenne du Médicament (EMA) : « … donner au bon patient le bon traitement, chaque médicament étant donné à la bonne dose, au bon moment (et pour la bonne durée) ». En somme, une médecine idéale car sur-mesure. Exprimée de cette façon, cette définition donne l’impression de pouvoir s’appliquer à toute forme de médecine de qualité, personnalisée ou pas. C’est pourquoi, à la suite du monde anglo-saxon, on tend de plus en plus à parler de médecine de précision, ainsi que de médecine stratifiée.
Médecine stratifiée
La stratification en question consiste à définir, parmi les patients atteints d’une affection, en général cancéreuse, des sous-groupes en fonction de certains critères appelés sous-types. Pour prendre un exemple bien connu, certains cancers du sein sont porteurs de récepteurs hormonaux (aux œstrogènes et/ou à la progestérone). On dit qu’ils sont « récepteurs hormonaux positifs », ou RH+, ce qui permet de mettre en route un traitement hormonal spécifique destiné à améliorer le pronostic en diminuant le risque métastatique. Pour la patiente, savoir que sa tumeur du sein est RH+ est un critère de bon pronostic, à condition qu’elle reçoive le traitement hormonal en question.
Médecine de précision
La médecine de précision est un concept développé en oncologie depuis le début des années 1990. Elle repose sur l’analyse des caractéristiques moléculaires et génétiques des tumeurs. En effet il a été mis en évidence la survenue, au sein des cellules normales, d’altérations génétiques qui déclenchent des processus menant à la cancérisation. Ces phénomènes varient d’un patient à l’autre. Ces découvertes, favorisées par les progrès du séquençage du génome, ont permis la mise au point de tests moléculaires diagnostiques et de thérapies ciblées, la cible en question étant ces fameux phénomènes cancérigènes (ou cancérogènes, car les deux se disent).
C’est en cancérologie mammaire que la médecine de précision a fait ses débuts, avec la découverte des protéines HER2 à la surface des cellules tumorales dans 15 à 20% des cancers du sein. Cette découverte est à mettre à l’actif de l’immuno-histochimie, technique qui affine l’histologie conventionnelle. Rappelons que l’histologie est l’étude au microscope des tissus, réalisée par un médecin anatomo-pathologiste. La présence de ces protéines définit les tumeurs HER2+, dont le pronostic est moins bon que les tumeurs HER2-. La recherche s’est mobilisée pour trouver une parade thérapeutique, sous la forme de la mise au point, au début des années 2000, d’un anticorps monoclonal, le trastuzumab. Les médicaments dont le nom se termine par la syllabe « mab » sont tous des anticorps monoclonaux (monoclonal antibodies). Ce médicament est commercialisé, selon les pays, sous le nom d’Herceptine© ou d’Herceptin©. Il a largement contribué à améliorer le pronostic des patientes atteintes d’un cancer du sein HER2+.
Il existe une autre affection cancéreuse dont le pronostic a été bouleversé par la médecine de précision, la leucémie myéloïde chronique, caractérisée par l’existence d’un gène anormal. Cette anomalie chromosomique porte le joli nom de « chromosome Philadelphie ». En 2000, un médicament spécifique a pu être développé, l’imatinib, qui a révolutionné le pronostic de cette leucémie, dramatique avant l’apparition de ce médicament. L’imatinib est commercialisé sous le nom de Glivec©. Les médicaments dont le nom se termine par « nib » sont tous des inhibiteurs (de la tyrosine kinase dans le cas de l’imatinib). Depuis, le Glivec© a été employé avec succès dans le traitement d’autres cancers, notamment certaines tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST).
Biomarqueur
Selon l’ASNM (Agence nationale du médicament et des produits de santé), un biomarqueur est une caractéristique mesurable, indicatrice de processus biologiques (qu’ils soient normaux ou pathologiques) et/ou de réponses pharmacologiques à une action thérapeutique. Les biomarqueurs peuvent être utilisés pour le dépistage et le diagnostic d’une maladie, ainsi que pour l’évaluation de la réponse ou de la tolérance à un traitement. On notera que ce concept, très utilisé en cancérologie, est assez ancien puisque le dosage de la glycémie, connu depuis 1848, est un biomarqueur du diabète et de l’efficacité des médicaments antidiabétiques.
Test moléculaire diagnostique et médecine théranostique
La présence d’une anomalie moléculaire spécifique d’une tumeur est identifiée par un test de laboratoire dit test moléculaire diagnostique. Ces anomalies chromosomiques sont de quatre types différents : mutation, translocation, amplification, délétion/insertion. Un test positif permettra de mettre en route une thérapie ciblée. C’est cette pratique que l’on appelle dorénavant le théranostic, ou la médecine théranostique, vocables nouveaux.
Thérapie ciblée
La thérapie ciblée est devenue le quatrième pilier de la thérapeutique anticancéreuse, après la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie. La cible est représentée par des récepteurs ou des signaux cellulaires altérés qui vont être bloqués par ces nouveaux médicaments, qui présentent l’avantage de ne s’attaquer qu’aux cellules tumorales porteuses de l’anomalie, dont ils bloquent la prolifération tout en respectant les cellules normales, ce qui génère moins d’effets secondaires.
Les mécanismes d’action des thérapies ciblées sont nombreux, mais reposent sur deux principes : soit le blocage de la prolifération tumorale, soit la diminution de la capacité de la tumeur à créer de nouveaux vaisseaux (néoangiogénèse). Le blocage de la transmission de certaines informations au sein des cellules tumorales peut se faire au niveau de différentes cibles : les facteurs de croissance, les récepteurs membranaires ou encore des éléments intracellulaires. L’action sur la néoangiogénèse fait appel à des thérapies antiangiogéniques, notamment le bévacizumab, commercialisé sous le nom d’Avastin©, et utilisé dans le traitement de nombreux cancers, notamment coliques.
Les trois médicaments cités ci-dessus, à savoir le trastuzumab, l’imatinib et le bévacizumab, sont des thérapies ciblées.
Immunothérapie
Au sens large du terme, l’immunothérapie vise à stimuler les défenses immunitaires de l’organisme contre les agressions. C’est le principe qui est à l’œuvre dans la vaccination. Quand l’agresseur est une cellule cancéreuse, on peut recourir soit aux anticorps monoclonaux, utilisés en thérapie ciblée (cf. supra) ; soit à la vaccination thérapeutique, qui n’a pas encore fait ses preuves, soit encore à l’immunothérapie cellulaire, qui est la piste de recherche la plus récente et la plus sérieuse. D’une certaine manière, ce concept n’est pas vraiment nouveau, dans la mesure où la greffe de moelle est une forme d’immunothérapie : le système immunitaire du donneur s’attaque à la maladie du receveur.
Les espoirs se portent actuellement sur la technique dite Car T Cells utilisée depuis peu dans certaines hémopathies malignes comme les leucémies aiguës lymphoblastiques ou les lymphomes non hodgkiniens. Le principe est le suivant : les cellules cancéreuses parviennent habituellement à empêcher les cellules du système immunitaire de les reconnaître. Pour contrecarrer ce phénomène néfaste, on utilise les lymphocytes T du patient, qui sont ensuite « boostés » in vitro pour se multiplier (thérapie cellulaire) et modifiés génétiquement (thérapie génique) avant d’être réinjectés au patient. Ces lymphocytes dotés de « superpouvoirs » sont appelés Car T Cells, CAR pour Chimeric Antigen Receptor).
Médecine translationnelle
La médecine translationnelle (ou traductionnelle) est une forme de médecine émergente qui cherche à appliquer les principes de la recherche translationnelle, qu’il s’agit maintenant de définir. En médecine, il existe trois types de recherche biomédicale : la recherche fondamentale, la recherche clinique, et la recherche translationnelle qui vise à appliquer les principes de la première à la deuxième. Elle s’occupe donc de trouver des applications pratiques aux découvertes fondamentales les plus récentes. Un exemple simple, le laser, qui n’a pas été conçu initialement pour une application médicale, mais dont certaines spécialités médicales comme l’ophtalmologie ne pourraient plus se passer.
Article publié le 15 octobre 2018