L’intelligence artificielle tient une place de plus en plus grande en médecine, notamment grâce aux logiciels d’aide au diagnostic et aux algorithmes décisionnels, également appelés arbres de décision. C’est un des aspects importants de ce qu’il est convenu d’appeler la technomédecine.
Le raisonnement médical qu’utilise l’intelligence naturelle de tous les médecins confrontés à un problème diagnostique peut être assimilé à un algorithme, qui se définit comme une « suite finie et non ambiguë d’opérations ou d’instructions ». Les « entrées » sont les informations recueillies par l’examen clinique et les examens complémentaires, et la « sortie » est représentée soit par un diagnostic (ou plusieurs), soit par une ou plusieurs propositions thérapeutiques. Les algorithmes décisionnels et les arbres de décision sont essentiellement utilisés en thérapeutique.
Un peu d’histoire
Une fois n’est pas coutume, je voudrais faire part d’une expérience personnelle. Lorsque j’étais chef de clinique-assistant à l’hôpital Henri Mondor de Créteil, au début des années 80, je faisais partie d’un groupe de recherche clinique, L’ARC, Association de Recherche en Chirurgie (pas le même ARC que celui rendu tristement célèbre par les consternantes malversations financières de son président J. Crozemarie). L’ARC dont j’étais membre testait une innovation technologique, un logiciel d’aide au diagnostic des douleurs abdominales aiguës. Ce logiciel avait été mis au point aux États-Unis, par un auteur dont le nom m’échappe, et que je ne retrouve pas sur Internet. À cette époque, l’informatique n’était pas très répandue, et pour se servir du logiciel, il fallait prendre son tour pour utiliser le seul ordinateur du service. Autres temps, où l’on devait toujours donner un numéro de téléphone par lequel on pouvait être contacté à tout moment si l’on était d’astreinte. Mais comment faisait-on à l’époque pour être de garde sans téléphone portable ? Mystère...
Une fois que le médecin en charge du patient avait fourni à la machine toutes les informations disponibles sur celui-ci (ce qui l’obligeait à un examen exhaustif, avantage non négligeable de la méthode) on obtenait un liste de diagnostics possibles, avec des pourcentages de probabilités décroissants et parfois surprenants, puisque le logiciel avait proposé une fois, chez un homme, l’hypothèse faible mais non nulle qu’il puisse s’agir d’une grossesse extra-utérine ! C’était déjà un « bug ».
Dans un nombre non négligeable de cas, le diagnostic retenu était celui de « douleur abdominale aiguë non spécifique », manière habile de dire que le logiciel n’avait pas d’idée bien arrêtée sur le problème qui lui était soumis. Cette expression reste de nos jours un recours possible pour éviter de dire à un patient que l’on ne sait pas du tout pourquoi il a mal au ventre. Un interne du service avait eu l’idée brillante de reconvoquer tous les patients chez qui ce « diagnostic » avait été retenu, et de les explorer de manière plus approfondie. Il avait ainsi obtenu plusieurs diagnostics non pris en compte initalement, et avait fait de ce travail l’objet de sa thèse. Il avait aussi fait un constat un peu inquiétant sur les préjugés des médecins : dans certaines cultures, notamment chez les habitants du pourtour méditerranéen, la douleur s’exprime de manière très démonstrative, comme chez les pleureuses professionnelles dont l’activité perdure dans certains pays de cette aire géographique. Cette présentation assez théâtrale de la douleur avait abouti à la description peu scientifique d’un « syndrome méditerranéen », expression qui sous-entendait que derrière « tout ce cinéma » se camouflait une absence de pathologie réelle. Le résultat obtenu par cet interne était que chez ces patients à qui l’on avait collé l’étiquette un peu méprisante de « syndrome méditerranéen », un vrai diagnostic final était plus souvent retrouvé que chez les autres patients. Conclusion possible, ces gens-là n’avaient pas été vraiment pris au sérieux lors de leur passage aux Urgences, et donc insuffisament explorés. J’ose espérer que ce ne serait plus le cas aujourd’hui. Quoi que…
Aide au diagnostic médical
Une aide au diagnostic médical est un outil informatique composé de deux parties : une base de données et un moteur de recherche qui permet d’accéder aux informations contenues dans la base de données. Ni une encyclopédie en ligne (comme celle que vous êtes en train de consulter) ou en version papier, ni un logiciel de recherche documentaire comme Medline, le plus important d’entre eux, ne sont des aides au diagnostic. L’aide au diagnostic est conçue pour un praticien, généraliste ou spécialiste, qui souhaite affiner le diagnostic de son patient, alors que le logiciel de recherche documentaire est destiné à un praticien, éventuellement le même, qui veut faire une recherche bibliographique, soit pour enrichir ses connaissances, soit pour publier dans l’espoir d’améliorer ses chances de faire carrière dans la médecine hopsitalo-universitaire en contribuant à enrichir une littérature médicale déjà pléthorique.
La base de données
Elle doit être la plus exhaustive possible pour fournir des réponses exhaustives quelque soit la question posée.
Deux cas de figures sont possibles : soit la base de données est constituée d’un ensemble de publications universitaires sur Internet, soit elle est propre au logiciel. Le célèbre logiciel Watson fonctionne selon le premier principe. On rappelle à ceux qui l’auraient oublié que ce programme d’intelligence artificielle élaboré par la firme IBM s’est illustré en remportant en 2011 le célèbre jeu télévisé américain Jeopardy !, ce qui avait été salué en son temps comme une performante incroyable. Dans le second cas, la base de données propre au logiciel doit être sans cesse mise à jour par des médecins qui s’appuyent sur des publications validées. C’est ainsi que fonctionne le logiciel Assistant Médical.
Le moteur de recherche
Là encore, il existe deux configurations : soit le moteur de recherche possède un lexique qui lui est propre, dont l’utilisateur ne peut pas s’affranchir (c’est le cas de cette encyclopédie) ; soit il fonctionne en langage naturel, comme Watson, c’est-à-dire que l’utilisateur pose ses questions avec ses mots à lui. Si l’on prend l’exemple de l'expression « règles douloureuses », qui portent le nom médical un peu sybillin de « dysménorrhée », le premier type de moteur de recherche ne comprendra pas « règles douloureuses » si cette expression n’est pas incluse dans son lexique, alors que le second acceptera les deux expressions, et peut-être même d’autres.
Analyse des résultats
Elle se fait en deux temps : d’abord un choix de diagnostics possibles proposé par le logiciel selon un raisonnement analogique ; ensuite l’affinage des réponses par un raisonnement hypothético-déductif du médecin à l’aide du logiciel, qui consiste à prendre une par une les hypothèses diagnostiques pour les valider ou les rejeter. C’est donc toujours au praticien que revient le dernier mot.
Support matériel
Fini le temps lointain des logiciels installés sur un ordinateur, et que l’utilisateur pouvait modifier à sa guise. Actuellement tous les programmes d’aide au diagnostic sont accessibles par le biais d'un site que seul l’administrateur peut modifier. Par exemple, le site de la Société française de médecine générale (SFMG) fournit une liste de sites d’aide au diagnostic, la plupart en anglais, mais certains en français comme Orphanet, émanation de l’INSERM.
Analogie avec le raisonnement humain
On notera que le raisonnement médical fait intervenir le même type de processus que celui qui vient d’être décrit. En effet, la base de données qu’utilise le cerveau du médecin est constituée de tout ce qu’il a appris jusque là, soit par la pratique de son métier, et cela s’appelle l’expérience, soit de manière livresque, et cela porte le beau nom d’érudition. Quant au moteur de recherche, c’est la capacité que possède le cerveau humain à relier entre elles les données pour aboutir à un diagnostic, et cela correspond au fameux « sens clinique ». Le médecin a appris ce qu’il y a à savoir sur le plus grand nombre possible de maladies, et il prend en charge des patients qui se présentent juste avec des symptômes. Ceux-ci doivent lui permettre d’échafauder des hypothèses diagnostiques qui orienteront les examens complémentaires jusqu’au diagnostic final.
Si l’on prend l’exemple fréquent d’un patient qui se présente avec une douleur abdominale aiguë, le praticien va activer dans son cerveau la case « diagnostic d’une douleur abdominale aiguë », alimentée par ce qu’il sait de toutes les affections susceptibles de donner lieu à une douleur abdominale, en commençant par les plus fréquentes, et en allant s’il le faut jusqu’aux plus rares. Un bon médecin se définit, quelle que soit sa spécialité, par l’étendue de ses connaissances et la façon de les utiliser, indépendamment de ses qualités humaines. Un jeune médecin aura une mémoire peut-être plus performante qu’un médecin plus âgé, lequel compensera par son expérience, qui lui aura fait rencontrer pendant sa carrière des maladies rares que son jeune confrère ne connaîtra que de manière livresque. Il est plus facile d’évoquer un diagnostic rare si l’on y a déjà été confronté. Dans les disciplines techniques comme la chirurgie, une bonne technicité est également indispensable. Un bon chirurgien n’est pas qu’un bon technicien de la chirurgie, il faut aussi qu’il soit un bon médecin tel que nous venons de le définir.
Les patients disent volontiers d’un bon médecin qu’il a « un bon diagnostic ».
Algorithme décisionnel et arbre de décision
Un algorithme décisionnel est communément désigné comme un « arbre de décision ». En effet, quand on lance une recherche Internet sur les algorithmes en médecine, on tombe sur des entrées comportant non pas le mot algorithme, mais l’expression arbre de décision. La définition d’un algorithme donnée par le Larousse en ligne est la suivante : « Ensemble de règles opératoires dont l’application permet de résoudre un problème énoncé au moyen d’un nombre fini d’opérations. Un algorithme peut être traduit, grâce à un langage de programmation, en un programme exécutable par un ordinateur ».
Un arbre de décision est un outil d’aide à la décision qui représente les différents choix possibles sous la forme graphique plus ou moins stylisée d’un arbre, ou plus exactement d’une arborescence. Les décisions finales proposées se situent au niveau des « feuilles » de l’arbre, qui sont atteintes après une série de propositions du type « si » ou « si » (s’il pleut demain, prendre un parapluie ; s’il fait grand soleil, sortir une tenue d’été).
Ce type d’arbres de décision existe dans toutes les spécialités médicales ; ils sont accessibles par Internet sur des sites spécialisés validés par la communauté médicale. Prenons l’exemple de l’oncologie médicale (la cancérologie) : le site www.oncologik.fr propose des référentiels pour chaque type de pathologie cancéreuse, chacun comportant un ou plusieurs arbres de décision thérapeutique. Ces référentiels sont utilisés notamment lors des fameuses RCP, Réunions de Concertation Pluridisciplinaire qui doivent valider les décisions thérapeutiques prises pour tous les dossiers de patients atteints d’un cancer.
Article publié le 25 mars 2019